Projet de recherche

De 2016 à 2020, nous avons mené un projet de recherche participative ayant pour thème « l’évaluation de la performance multifonctionnelle du micro-maraîchage de l’écolieu Jeanot ». Cette mission a étudié l’efficacité du jardin selon trois axes : social, environnemental et agronomique. Ce projet a été co-piloté par des membres de l’association (salariés et bénévoles), ainsi que par un groupement de chercheurs en sciences humaines et agronomiques (LABEX CRISALIDH de Bordeaux).

Pour plus d’informations relatives au projet de recherche, vous pouvez nous contacter à animation@jeanot.fr

 © Floriane Chevrel
© Floriane Chevrel

Introduction au projet de recherche-action

L’agriculture est un processus par lequel les hommes aménagent leurs écosystèmes pour satisfaire les besoins alimentaires, et autres, de leurs sociétés (1). Accroître la productivité des systèmes agricoles a, jusqu’à peu, été le principal but des politiques de développement agricoles. Bien qu’ayant atteint ses objectifs de nourrir la population française, les limites de ce productivisme sont apparues, causant une remise en question des principes agricoles dans leur globalité. Tout d’abord, la surproduction résultant de ces politiques, par le biais d’exportations subventionnées, a inondé et déstabilisé les marchés agricoles des pays en développement, creusant les inégalités déjà présentes. Ensuite, l’intensification démesurée de l’agriculture causa des dommages irréversibles aux milieux et aux ressources naturelles de nombreuses régions. Les deux principaux rôles de l’agriculture (production de denrées garantissant la sécurité alimentaire et moteur économique) ont ainsi perdu de leur intérêt auprès de la société. L’efficacité économique de cette agriculture, qui semble ne pouvoir survivre sans le soutiens financier des politiques agricoles est devenue de plus en plus douteuse et discutée. En parallèle, les exigences alimentaires de la société ont évolué, vers des produits de qualité, plus sains, suite aux grands scandales alimentaires (vache folle, lasagnes au cheval) ainsi qu’à la montée des inquiétudes sur les garanties sanitaires des produits de l’agriculture intensive (effets des résidus de pesticides, multi résistances aux antibiotiques liées à l’emploi inconsidéré de ces molécules dans les élevages…) La notion d’une production respectant l’environnement s’est rajouté à ces exigences.

De nombreuses interrogations émergent désormais. La place des agriculteurs dans la société s’est retrouvée controversée (Purseigle and Hervieu 2013), entre l’attachement fort à la paysannerie, qui présente les agriculteurs comme les dépositaires de la relation hommenature et les derniers remparts contre les friches des paysages désertés d’un côté, et d’un autre coté les empoisonneurs-pollueurs ultra-mécanisés. De ces prises de conscience ont émergé de nouveaux rôles de l’agriculture qui ont conduit aux concepts de développement durable et de multifonctionnalité. Le concept de multifonctionnalité permet de redéfinir la complexité et la richesse des « missions » de l’agriculture (Hervieu, 2002). Elle correspond à la « capacité des systèmes agricoles à contribuer simultanément à la production agricole et à la création de valeur ajoutée, mais aussi à la protection et à la gestion des ressources naturelles, des paysages et de la diversité biologique, ainsi qu’à l’équilibre des territoires et à l’emploi ». Les trois dimensions comprises dans le terme multifonctionnalité sont en fait les trois fonctions principales de l’agriculture : économique, sociale et environnementale. Cette conception modifie la perception et la réalité du métier d’agriculteur, qui devient alors plus diversifié et plus complexe.

Le concept de microferme découle de cette prise en compte de la multifonctionnalité de l’agriculture, et du manque de plus-value sociale de l’agriculture conventionnelle. Les microfermes, conduites la plupart du temps en partie en maraichage, sont définies comme des petites unités complexes dédiées à la production alimentaire (Fortier 2013). Elles possèdent les caractéristiques suivantes (Morel and Léger 2015) : surfaces cultivées par actif inférieures aux recommandations classiques d’installation en maraîchage, commercialisation en circuits courts, très grande diversité de légumes produits, faible niveau de motorisation, volonté forte de développer des systèmes agricoles qui participent à la santé des écosystèmes et au bien-être social.

Ces microfermes, qui tentent des proposer une « autre agriculture », s’inscrivent dans une démarche agroécologique, au sens de la construction de systèmes alimentaires durables (Francis et al. 2003). En France, ces projets semblent majoritairement portés par des actifs non issus du monde agricole, et cela constitue en soi une véritable révolution : suscitant une réceptivité médiatique importante, cela donne accès à la société à une forme différente de gouvernance alimentaire, mais aussi environnementale. Avec l’avènement des circuits courts, les producteurs et les consommateurs choisissent de construire des alternatives, qui bien souvent se retrouvent aussi dans des modes de vie. Multifonctionnalité et implication des citoyens se retrouvent au travers de projets agricoles urbains, comme les jardins collectifs et partagés, où la première des motivations est la production de nourriture, mais d’autres variables rentrent en jeu : la création de lieux favorisant les interactions sociales, le contact avec la nature, le partage de connaissance et la formation populaire (Pourias, Aubry, and Duchemin 2015).

En milieu urbain et rural, des dynamiques novatrices voient le jour, à la recherche de valeurs mais aussi de sens. L’association C Koi ça, située dans les Landes, tente de stimuler les consciences en zone rurale autour de l’agriculture et de l’alimentation. Lieu hybride entre microferme et jardin collectif, l’écolieu Jeanot nous parle du maraichage selon trois angles d’attaques complémentaires : social, environnemental et économique. Constatant que depuis la genèse du jardin, la rentabilité économique propre à la production maraîchère n’est pas au rendez-vous mais que la plus-value sociale de ce grand potager est non négligeable et même considérable, l’association qui anime ce lieu a voulu comprendre comment la multifonctionnalité du jardin était créatrice d’externalités sociales : quelles sont-elles ? Comment les identifier et les décrire ? Comment mesurer leur efficacité ?

Ainsi, comment apprécier l’efficacité d’une activité multifonctionnelle dans le
cas du maraichage bio-permaculturel de l’écolieu Jeanot ?

(1): Définition de Marc Dufumier, ingénieur agronome, Institut national agronomique Paris-Grignon